Impromptus
et
poèmes
MAINS TOUCHÉES
Il entoure de sa grosse main la petite main que son enfant lui a tendue, quand il l’a emmené sur le chemin. Plus tard, sa femme cherche sa main sous les draps avant de s’endormir. Leurs mains qui touchent la sienne lui rappellent qu’il existe pour eux et qu’ils existent pour lui. Elles sont chaudes, bougent doucement et le caressent. Elles le relient à leurs vies et lui transmettent leurs fragilités. Il leur renvoie sa chaleur mais ignore s’il leur transmet un réconfort, ou sa propre fragilité. Que cherchent-ils quand ils prennent sa main ? Ils ne cherchent rien, ils l’aiment. C’est lui qui cherche leur amour, et qui l’a trouvé.
Les impromptus d'ArlequinILS VONT BIEN ENSEMBLE
Ils vont bien aujourd'hui. Ils se sont embrassés comme des jeunes de vingt ans sur un banc. Ils se sont désirés. Ils ont eu envie de se croquer. Les années passées sont oubliées. Ils vont aller boire un verre, comme s'ils n'habitaient pas encore ensemble. Ils ne se connaissent plus. Ils vont juste bien ensemble.
Les impromptus d'ArlequinUNE PIÈCE PARTICULIÈRE
Aujourd’hui il part acheter son pain tout guilleret, car il vient de dédicacer son livre à une lectrice, inconnue, enthousiaste. Face au vendeur qui lui tend la baguette, il sort d’abord un billet de 5 euros. Il se ravise aussitôt, en s’apercevant que c’est l’argent de son livre et de sa lectrice. Il ne veut pas confondre la valeur de son livre, don de sa lectrice, avec celle de son vulgaire pain quotidien. Il cherche de la monnaie, choisit une pièce anonyme, s'acquitte, quitte le commerce, et remet son précieux billet au fond de sa poche.
Les impromptus d'ArlequinBEAUTÉ PRISE
									La beauté-là
									Il l’a trouvée
									Elle a jailli
									Telle un éclair
									Et l’a touché
									Ses yeux se sont
									Écarquillés
									Ont caressé
									Son corps vieilli
									Qui étonné
									S’est assoupli
									Reconnaissant
									Il s’est vu beau
									Adolescent
									Trouvant l’amour
									Incandescent.
									____________________________
									La beauté vient
									La beauté va
									On l'attrape
									Elle s'échappe déjà
									On la goûte
									Mais elle reprend sa route
									Beauté d'un instant
									Fragilité d'un moment
									Mais sa rencontre fait
									Que la force apparaît
									Beauté infiltrée
									Au cœur de la mémoire
									Au fond de nos pensées
									De nos rêves
									À jamais.
                                    
MOTS BEAUX
									Les mots bruts de la vie
									La poésie les distille
									Tous les mots et les moments
									De notre belle et chienne de vie
									La poésie est le chalumeau
									Les mots bouent-ils et disent-ils
									Les mots distillés glissent-ils
									Les mots durs et doux coulent-ils
									La distillation dit les mots
									La poésie les fait beaux.
									____________________________
									Je reste sans mots !
									Le plus beau des mots : poésie ?
                                    
SACS
Le sac symbolique est pratique. Il y jette les ordures de la journée, les mots blessants, les courriels pourriels, les tâches faites et défaites, les injonctions imbéciles, les réunions inutiles, les visages en cirage, les masques en plastique, les sourires en toc. Il remplit le sac gris, le noue, l'éjecte et l'oublie. Puis il sort en cachette un autre sac, un sachet secret, petit comme un écrin, qui ne le quitte jamais, et il y glisse la nouvelle image de sa collègue honnête, la voix de son vieux copain de vingt ans, la présence de sa femme. Et il referme le petit sac. Il le réchauffera pour la nuit.
Les impromptus d'ArlequinJE NE SAIS PAS
« Je ne sais pas pourquoi les oiseaux refleurissent au printemps » a dit le poète Coluche. Aujourd'hui j'ai revisionné ce sketch devenu une légende, et j'ai ri comme la première fois. Je ne sais pas comment ce génie a réussi à faire rire la France si haut et si fort. Je ne sais pas pourquoi il nous a quittés si vite, alors que nous avions tant besoin qu'il nous déloge encore ce rire libérateur universel, qui nous rassemblait tous. Et je ne sais pas comment il réussit à se jouer, de façon insolente, de notre langue, l'avait amochée d'abord avant de la recréer en une féroce et comique parodie.
Les impromptus d'ArlequinROUGE
Le rouge l’a toujours fasciné car de tout temps il a évoqué le sang. Quand le sang coule en nous, il nous tient en vie. Quand il sort de nous, il nous menace de mort. Quand nous fermons la plaie, nous avons gagné une bataille. Le sang coule aux bords de la vie. Sa fougue se nourrit de son sang pour mener des combats vitaux ; il en espère des victoires, et en craint des blessures mortelles. Son sang rougit le cœur des feux qu’il allume et dans lesquels il se jette à corps perdu.
Les impromptus d'ArlequinPRIS ENTRE LES DEUX
                                        Entre deux feux
                                        Avant le rouge
                                        L’orange pressé
                                        J’étais pressé
                                        Entre les deux
                                        Mon cœur balance
                                        Mon cœur bercé
                                        Mes mains qui dansent
                                        Le guidon vire
                                        Vire les autos
										Je mets les gaz
                                        Je mets les bouts
                                        Du bout des doigts
                                        Je les salue
                                    
INSPIRATION
									Je croise un thème
									Je crois écrire
									Je prends la plume
									La plume sèche
									Thème sans soif
									Je dois me taire
									Des bêtes fauves
									En moi s’agitent
									Grouillent me fouillent
									Dans tous les sens
									Frappent à ma tête
									Se cognent entre elles
									Je ne vois qu'ombres
									Ombres innombrables
									Ombres furtives
									Ombres de morts
									De l'univers
									Ombres d’amour
									Ma plume croche
									Une plus proche
									Tête sauvage
									Farouche en rage
									Yeux rouges en sang
									Crocs blancs en bave
									Dur je l'observe
									Sans jugement
									Et sans colère
									Je la décris
									Je la dessine
									Mes mots la voient
									La bête entend
									Mes mots ensemble
									Et devient douce
									Et me sourit
									Et devient belle
									Je l’ai comprise
									Elle m'a pris
									Je l’ai apprise
									M’a libéré
									Mes mots dormaient
									Par mon absence
									Par le silence.
									____________________________
									La bête inspire
									Elle se jette dans l'écriture
									Défoulement, mise à mots
									Elle griffe le papier
									Déchire les lignes
									Sa bave fluide coule
									Elle se lâche
									Et soudain elle fait tache
									Une tache sombre
									Un lac de colère
									La bête y plonge
									Sa tête la première !
									Calmée
									Elle en ressort
									Et doucement
									Sur le papier
									Elle va glisser
									Rebondissant
									Des creux des bosses
									Elle se frotte
									Sans altérer
									Grain respecté
									Grain de folie
									Grain de gaieté
									Bête semeuse
									Grain de poussière
									Ou grain de sable
									Dans un océan d'écriture
									Expiration de craquelures
									Et inspiration de boutures
									Respiration dans les fissures.
                                    
JEU FATAL
									Carte fatale piochée
									Retour en case départ
									Humiliante punition
									Progression anéantie
									Mais les dés sont mes alliés
									Ils m'emmènent et ils galopent
									Le hasard rend la justice
									La carte fatale aux autres
									À moi la case finale.
									____________________________
									Positionnés sur l'échiquier
									Les rois ne savent que penser
									Leur vie aux mains de tacticiens
									Leur mort aux doigts de logiciens
									Autour d'eux les pièces s'agitent
									Déplacées par ceux qui cogitent
									Petit à petit disparaissent
									Laissant isolées les altesses
									Jeu fatal pour un souverain
									Échec et mat sur le terrain
									Voilà un des rois sur le flanc
									Dans paysage noir et blanc
									L'autre a gagné la partie
									Très vite rangé lui aussi
									Les pièces reviennent au tiroir
									Plongées pour un temps dans le noir
									Mais voilà que les petits pions
									Se mobilisent à l'unisson
									Pour ouvrir la boîte de jeu
									En libérant tous les enjeux
									Saute cheval tour infernale
									Pions suivant fous en diagonales
									Les rois roquent avec les reines
									Un joyeux rire les entraîne
									Finalement tous éreintés
									Sur l'échiquier vont s'allonger
									Leurs têtes tournées aux étoiles
									Blanches et noires, amicales
									Rêvant que tous les jeux fatals
									Descendent de leur piédestal.